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Les médias d’information indépendants en France évoluent dans un environnement de forte concentration de la presse, qui ne cesse d’être absorbé par une poignée de milliardaires, de familles ou d’entreprises, où les médias d’opinion privés rivalisent fortement avec les médias d’information générale et politique, qui accaparent aussi une part importante des aides publiques destinées au développement des médias.

INFORMATIONS GÉNÉRALES

Médias du répertoire
17
Type d’organisation
  • À but lucratif: 26,7 %
  • À but non lucratif: 40,0 %
  • Hybride: 33,3 %
  • Pas encore constituée/enregistrée: 0,0 %
Sexe des fondateurs
  • Homme: 75,5 %
  • Femme: 24,5 %
Type de couverture
  • Hyperlocale: 1
  • Internationale : 5
  • Locale : 2
  • Nationale : 8
  • Régionale : 1

Dans le contexte de ce que beaucoup ont appelé un « événement d’extinction des médias » causé par la pandémie, l’instabilité économique, la désinformation et la guerre, un nombre croissant de nouveaux types de médias indépendants ont vu le jour.

Alors que les médias traditionnels ont continué à réduire leurs effectifs au cours de la dernière décennie, les médias en ligne ont fleuri partout en Europe, comblant les déserts de l’information, attirant des publics déçus et ouvrant la voie à  de nouvelles façons de partager des informations vitales.

Malgré les différences politiques, économiques et linguistiques qui caractérisent les plus de 40 pays dans lesquels nous avons mené cette étude, les 540 médias en ligne figurant dans notre répertoire Projet Oasis sont confrontés à de nombreux défis et opportunités communs.

Parmi nos principales conclusions :

  • Ils utilisent les médias sociaux pour cibler des publics plus jeunes, envoyer des actualités via Telegram afin d’éviter la censure, et former des journalistes citoyens pour atteindre les communautés mal desservies.
  • Plus de 85 % d’entre eux ont déclaré que les questions relatives à la société et aux droits de l’homme sont des thèmes majeurs de leur couverture, ce qui inclut les sujets portant sur la migration, les réfugiés, le genre et le féminisme.
  • Plus de 50 % consacrent des ressources au journalisme d’investigation, et nombre d’entre eux forment des alliances pour couvrir l’information transfrontalière.
  • Plus de 58 % des fondateurs des médias présentés dans ce rapport sont des femmes. Ces médias sont grandement basés sur la collaboration et comptent dans la plupart des cas plusieurs cofondateurs.
  • Les médias fondés par des équipes mixtes d’hommes et de femmes ont enregistré les chiffres d’affaires les plus élevés, à savoir en moyenne 509 740 € par an.
  • Ceux qui investissent dans le développement commercialbâtissent des organisations plus durables. Les médias ayant au moins un employé dédié à la génération de revenus ont enregistré un chiffre d’affaires annuel moyen six fois plus élevé que ceux n’ayant personne dans ces fonctions : 598 539 € contre 95 629 €.
  • Plus de la moitié des médias de cette étude sont des organisations à but non lucratif, et nombre des entreprises à but lucratif investissent plus dans le journalisme que dans la création de profits.
  • Parmi les médias à but non lucratif, les principales sources de revenus sont, dans l’ordre, les subventions, les dons individuels et les adhésions. Parmi les médias à but lucratif, les principales sources sont la publicité, les abonnements aux sites web et les subventions.
  • La diversité des revenus est essentielle, mais un trop grand nombre de sources n’est pas synonyme de plus grand succès. L’établissement de deux à six sources de revenus semble être idéal pour la pérennité et l’indépendance.
  • Les médias en ligne vont de la petite start-up gérée par des bénévoles impliqués dans leurs communautés, aux entreprises multiplateformes très rentables qui attirent des millions de vues chaque mois et gagnent des millions d’euros chaque année.
  • Bien que quelques médias de cette étude aient plus de 20 ans, la majorité a commencé à publier au cours de la dernière décennie. La plupart, ont été fondés en 2016.

La pérennité est difficile à atteindre, et il n’y a pas de recette miracle de succès. Toutefois, bon nombre des responsables des médias que nous avons interrogés démontrent qu’il est possible de trouver le soutien nécessaire pour servir leurs communautés.

« Pas d’oligarques, pas de paywall. Juste vos dons et notre travail », tel est le slogan du média numérique tchèque Deník Referendum, fondé en 2009. Jakub Patočka, rédacteur en chef, nous a parlé de sa méthode : « Les lecteurs qui souhaitent débattre [dans la rubrique des commentaires] sous nos articles paient une participation. Cette approche génère un revenu modeste et favorise également le dialogue. »

Les coopératives de médias financées par les adhésions des membres constituent un modèle intéressant parmi certaines des publications de notre annuaire. Au Royaume-Uni, les membres de la coopérative The Bristol Cable sont également des « actionnaires démocratiques », c’est-à-dire qu’ils peuvent assister aux assemblées générales annuelles de l’organisation, voter les politiques éditoriales et se présenter aux élections du conseil d’administration non exécutif.

La plupart des entreprises de médias que nous avons répertoriées pour créer notre annuaire ont été lancées par des journalistes ayant souvent des ressources et une expérience entrepreneuriale limitées, mais qui ont déclaré que, malgré ces défis (et bien d’autres), ils espéraient se développer dans les années à venir.

Certaines sont bien connues des lecteurs qui travaillent dans le domaine des médias, mais nous pensons que vous trouverez quelques surprises parmi les nombreux exemples inspirants que nous avons trouvés en Europe. Cela dit, nous ne prétendons pas que cette première version du Projet Oasis représente tous les médias devant figurer dans notre annuaire européen.

Nombre de nos conclusions dans cette étude sont cohérentes avec  nos précédents projets de recherche ; afin de fournir un contexte plus large ainsi que des points de comparaison, nous approfondissons tous ces résultats dans le rapport qui suit. 

Ce projet d’étude a été mené en utilisant la méthodologie que nous avons développée à SembraMedia en 2015 lorsque nous avons commencé à rechercher des types de médias similaires dans les communautés hispaniques en Amérique latine, en Espagne et aux États-Unis. Depuis le lancement du Projet Oasis, en 2022, plus de 60 personnes y ont participé, dont 34 chercheurs ayant une expérience locale, qui ont répertorié, analysé et réalisé des entretiens dans plus de 30 langues.

Il est important de noter que ce rapport et cet annuaire de médias ne constituent pas une liste exhaustive et définitive de tous les médias en ligne indépendants en Europe. Nous espérons qu’il constitue juste la première étape d’un projet de recherche continu dont nous poursuivrons le développement.

Nous sommes inspirés par l’innovation, la détermination, le courage et le journalisme souvent primé, produit par les  dirigeants des médias, qui ont généreusement pris le temps de s’entretenir avec nos chercheurs, malgré leurs agendas chargés.

Comme nous l’avons appris des études précédentes, la valorisation des médias figurant dans l’annuaire Projet Oasis peut aider leurs dirigeants à échanger des connaissances, à collaborer et à gagner en visibilité et en reconnaissance auprès d’organisations capables de leur apporter le soutien vital dont ils ont besoin et qu’ils méritent pour poursuivre leur travail.

Liberté de la presse

La liberté de la presse en France a connu une amélioration en 2022, qui s’explique par un apaisement relatif après les tensions liées au mouvement des Gilets jaunes (apparu en 2018), où la violence policière s’est étendue à la presse. Plusieurs médias interviewés dans le cadre du Project Oasis ont parlé de ces violences et actes policiers devenus récurrents, en particulier lors de la couverture des manifestations dans la rue (pendant lesquelles des journalistes ont été frappés ou mis en garde à vue sans motif).

Il n’est pas rare que les médias ou les journalistes soient soumis à des procédures-bâillons, principalement menées par des groupes entrepreneuriaux. Un cas récent est la saisine du groupe Altice contre le média Reflets.info, qui s’est conclu par une interdiction pour le média de continuer à publier des articles d’investigation concernant Altice, en raison de l’atteinte portée au secret des affaires. Selon le Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne), la décision établit effectivement une censure, une situation déjà observée et signalée par le syndicat depuis l’entrée en vigueur en 2018 de la loi relative à la protection du secret des affaires, qui vise à assurer, pour le bénéfice des entreprises, la protection des informations ayant une valeur commerciale.

Structure et dominance du marché

L’audiovisuel public et privé occupe une place importante dans l’écosystème médiatique français (médias publics : France Télévisions, Radio France, TV5 Monde, INA, France Médias Monde et la chaîne de télévision franco-allemande ARTE ; médias privés : TF1, Canal+, C8, W9, TMC, BFM TV, CNews, etc.), caractérisé par une forte concentration de médias par des grands groupes, une problématique devenue si importante que le Sénat français a lancé une commission d’enquête sur le sujet.

D’autre part, l’offre de médias imprimés reste importante. Les journaux imprimés les plus diffusés sont Le Monde, Le Figaro, L’Équipe, Les Echos et Libération, et de nombreux magazines et hors-séries remplissent les kiosques chaque semaine.

Parallèlement, de nombreux médias indépendants émergent régulièrement, et se développent principalement en ligne. La plupart d’entre eux sont adhérents du Spiil (créé en 2009), qui, au 31 décembre 2021, comptait 261 membres représentant 314 titres de presse générale et spécialisée, devenant ainsi le premier syndicat de presse. 

En 2019, Ouest Medialab a mené des recherches visant à cartographier les médias locaux d’information en France. En explorant diverses sources, dont la base de données des membres du Spiil, l’étude a identifié 1 512 rédactions de journaux, radios, TV et pure players d’information locale.

Financement des médias 

Les principales sources de revenus des médias en France sont les abonnements, les ventes en kiosque, la publicité et les subventions publiques, ainsi que l’organisation d’événements, la vente de produits dérivés et la mise en place de partenariats. À l’heure actuelle, des craintes apparaissent quant aux subventions publiques pour la presse, après l’annonce de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (que tous les propriétaires de télévision devaient payer, sauf dans certains cas). Cette mesure a été adoptée par le gouvernement en 2022 en tant que « mesure en faveur du pouvoir d’achat des ménages », mais elle pourrait avoir un impact sur le financement des médias et nuire au pluralisme, d’autant plus que la situation n’est déjà pas favorable aux médias de petite et moyenne taille, les plus gros médias, détenus par des milliardaires, accaparant la plupart des aides directes de l’État.

17 profils de médias en ligne en France sont inclus dans l’annuaire, dont 11 basés sur des interviews et 6 sur des recherches documentaires. 

Les médias interrogés se caractérisent par leur ferme engagement à créer des entreprises avec une identité  prononcée qui les distingue des grands titres de presse, ainsi que par une forte revendication de leur indépendance financière, politique et économique.

Cet écosystème de médias se distingue par son dynamisme (apparition régulière de nouveaux titres), sa diversité et sa variété de sujets. Nombre de ces publications ont été créées à la suite d’un manque d’informations précises sur certains sujets importants, d’un manque de représentation de certaines communautés, ainsi que d’un désir de parler de sujets n’étant pas assez abordés par les médias traditionnels, comme l’écologie, le handicap et certaines régions du monde mal connues à la fois des journalistes et du public.

On assiste à un essor des formats audio (podcasts) et du journalisme explicatif dans le but de contextualiser les faits, de vérifier les données, de parler de certains groupes sociaux de manière plus précise, d’accorder l’importance nécessaire à certains sujets essentiels pour comprendre la complexité du monde actuel (comme les problèmes environnementaux), mais qui sont minimisés ou étouffés par le bruit médiatique général et l’appauvrissement de la qualité de l’information.

Il existe aussi un désir vif de produire du journalisme d’investigation, même si cela nécessite un investissement financier et humain conséquent, un investissement que les médias ne peuvent pas tous se permettre, ce qui limite considérablement leur développement.

L’étude a également constaté que les newsletters sont devenues un outil très utilisé pour nouer des liens plus proches avec les lecteurs et proposer une curation  d’articles sur des sujets spécifiques.

Quant au financement, les principales sources de revenus des médias en ligne sont les abonnements, les aides publiques, les services fournis à d’autres médias ou entreprises ainsi que l’éducation aux médias.

Certains des principaux médias indépendants en ligne ont été créés par des journalistes suite à un licenciement économique, ou par ceux ayant quitté un média traditionnel dont le fonctionnement ne leur convenait plus, en particulier après son rachat par des entreprises privées. L’investissement initial pour créer leurs entreprises provient souvent des ressources propres des fondateurs et du travail bénévole des journalistes.

En France, outre les organisations à but non lucratif et à but lucratif, il existe un statut spécial pour la presse d’information politique et générale, créé en 2015 après l’attentat de Charlie Hebdo, afin de promouvoir l’émergence et la viabilité économique de la presse indépendante. Inspiré par l’économie sociale et solidaire, ce statut exige le réinvestissement d’au moins 70 % des bénéfices annuels dans l’entreprise et interdit l’acquisition de toute participation par un tiers.

Une autre particularité de cet écosystème de médias réside dans sa collaboration. Par exemple, certains médias ont commencé à partager des espaces de travail qui facilitent la création de projets communs et réduisent les coûts. Des initiatives telles qu’une newsletter du média Basta!, qui fournit une sélection hebdomadaire d’articles sous différents formats, issus de 138 médias indépendants, montrent la solidarité entre ces publications de plus en plus visibles et accessibles aux internautes. Le Fonds pour une presse libre, créé en 2019 à l’initiative de Mediapart, est une organisation à but non lucratif qui défend la liberté d’information, le pluralisme de la presse et le journalisme indépendant, il reflète également cette solidarité.

Les citoyens jouent un rôle majeur dans la survie du secteur des médias en ligne indépendants, car ce sont eux les principaux financeurs, ils s’abonnent, font des dons et soutiennent les publications lorsqu’elles sont poursuivies en justice dans le cadre de procédures-bâillons.

L’intérêt que portent les médias indépendants à la formation des futurs journalistes et à l’ouverture du journalisme à des audiences variées est également important, car il répond à l’observation faite au sujet du manque de représentation de certains groupes sociaux, qui peut être partiellement comblé en intégrant des personnes de différentes origines et cultures au sein des rédactions.

Enfin, les questions écologiques sont devenues des préoccupations importantes pour les médias en France. En septembre dernier, le média Vert a lancé une Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique, afin de contribuer à améliorer la couverture médiatique des questions environnementales. À ce jour, environ 1 200 journalistes et des dizaines de rédactions et d’écoles de journalisme l’ont signée.

Les médias indépendants en ligne français ont compris que l’union fait la force et que, ensemble, ils peuvent encourager les changements nécessaires pour le journalisme, qui viendront difficilement des médias traditionnels. Les initiatives mentionnées précédemment s’inscrivent dans la volonté du secteur des médias indépendants de peser face  à la presse traditionnelle ainsi que d’agir face à la concentration des médias et à la difficulté d’obtenir des financements leur permettant d’être viables à long terme. Le grand nombre de membres du Spiil prouve ce désir d’établir un front commun pour relever les défis communs actuels. 

Il reste à promouvoir un environnement plus favorable à la liberté de la presse, qui assure sa durabilité à long terme, la protège des attaques des intérêts privés, et assure la sécurité des journalistes dans le cadre de leur travail.

Dernière mise à jour : janvier 2023